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Ateliers d'étude du Shôbôgenzô avec Yoko Orimo
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Ateliers d'étude du Shôbôgenzô avec Yoko Orimo
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10 avril 2013

Présentation du Shôbôgenzô

 

Émission Sagesses Bouddhistes du 13 septembre 2009 présentée par Aurélie Godefroy

 

Le Shôbôgenzô [正法眼] de Maître Dôgen :

La vraie Loi, Trésor de l'Œil

avec Yoko Orimo,

 

EXTRAITS DE L'ÉMISSION

 

Ce message existe ici en fichier docx : Y_Orimo_Shobogenzo_Sagesses_Bouddhistes_2009

et en fichier pdf : Y_Orimo_Shobogenzo_Sagesses_Bouddhistes_2009 

 

A G : Cette émission est consacrée à la traduction par Yoko Orimo d'une œuvre essentielle dans le Bouddhisme, le Shôbôgenzô. Ce recueil écrit au XIIIe siècle par le grand maître zen japonais Dôgen a nécessité un très long travail de traduction. Quelle est la place Shôbôgenzô dans le zen, quand ce terme apparaît-il pour la première fois, que signifie-t-il, quels sont ses caractéristiques stylistiques, et quelle est l'importance encore aujourd'hui de cette œuvre ? Nous en parlons avec votre invitée Yoko Orimo.

 

A G : Yoko Orimo bonjour. Vous êtes diplômée de l'École Pratique des Hautes Études et vous êtes également la traductrice et la spécialiste du Shôbôgenzô depuis de nombreuses années. Pour commencer est-ce que vous pouvez nous rappeler qui est maître Dôgen ?

Y O : Maître Dôgen est un moine bouddhiste japonais du XIIIe siècle, il est né à Kyôto en1200 et mort également à Kyôto en 1253. C'est lui qui a transmis le zen de la traduction Sôtô au Japon après ses études effectuées en Chine du printemps 1223 au printemps 1227. Sur ce sujet je voudrais souligner deux points :

– D'abord maître Dôgen était non seulement un moine zen éminent mais aussi un grand philosophe et un poète hors du commun. Et c'est pourquoi ses ouvrages, en particulier le Shôbôgenzô, attirent et fascinent nos contemporains au-delà de toutes les frontières culturelles, confessionnelles ou géographiques. Personnellement je me sens le plus touchée par la dimension poétique du Shôbôgenzô.

– Et le deuxième point que je voudrais souligner, c'est la ressemblance qui existe entre l'époque Kamakura dans laquelle a vécu maître Dôgen et notre époque pleine de mutation et de bouleversements. Ce climat instable qui favorise le changement et la transformation se reflète incontestablement dans la stylistique même du Shôbôgenzô.

 

L'œuvre de maître Dôgen est très vaste : il a écrit des sermons, des poèmes... Est-ce que vous pouvez contextualiser le Shôbôgenzô au sein de cette œuvre ?

Le Shôbôgenzô comporte au total 92 textes abordant des thèmes extrêmement variés. Et chacun de ces 92 textes reste libre et autonome, indépendant, tout en composant un ensemble cohérent et dynamique avec les autres. La période rédactionnelle du Shôbôgenzô s'étale sur 23 années, c'est-à-dire de 1231 jusqu'à la mort de maître Dôgen en 1253.

 

Quelle est selon vous, Yoko Orimo, l'aspect majeur du Shôbôgenzô ?

Le Shôbôgenzô se présente à mes yeux comme une parabole, l'immense parabole de la Loi de l'univers, c'est-à-dire le dharma, l'enseignement même de l'Éveillé-Shâkyamuni, le fondateur de la Voie bouddhique. Il y a une parfaite correspondance entre l'espace littéraire du Shôbôgenzô fondé sur le langage et l'univers du phénomène tel que nous le voyons. Les mots et les caractères restent libres et autonomes afin de produire sans cesse un sens nouveau grâce à leur perpétuelle interaction. L'important n'est pas la définition statique et théorique de tel ou tel mot, mais ce processus vivant et évolutif de la langue et de l'écriture.

Maître Dôgen exploite au maximum cet aspect dynamique et performatif de l'écriture sino-japonaise. Je vous donne un seul exemple.

Voici deux caractères sino-japonais juxtaposés :

Ça se lit doku sho.

Le premier caractère doku 読veut dire "lire" en tant que verbe, et "la lecture" en tant que substantif ; le deuxième caractère sho 書veut dire "écrire" en tant que verbe, et "l'écriture" en tant que substantif. Et voici quatre manières différentes de lire ces caractères juxtaposés :

1°) la "lecture des livres (ou du livre)" en tant que nom composé

2°) "lire et écrire" ou "la lecture et l'écriture" en tant que deux noms communs juxtaposés

3°) "lire des livres" (ou "lire le livre") en tant que proposition, proposition qui peut être au passé ou au présent avec un sujet singulier ou pluriel selon le contexte ;

4°) cela peut se lire en tant qu'impératif, c'est-à-dire "lis (ou lisez, lisons) des livres (ou le livre)".

Je vous signale que dans la langue sino-japonaise, sauf cas particulier, la distinction du singulier et du pluriel n'est pas clairement énoncée.

 

Le Shôbôgenzô tient une place particulière dans l'œuvre de maître Dôgen, pourquoi ?

La réponse se situe à deux niveaux, d'une part au niveau de la forme, et d'autre part au niveau du fond. S'agissant de la forme, le Shôbôgenzô est l'un des premiers ouvrages savants écrits en japonais et non en chinois – la langue savante et officielle de l'époque, était le chinois comme le latin l'était en Europe médiévale – et sauf ses poèmes traditionnels japonais appelés waka, maître Dôgen a écrit tout le reste de ses ouvrages en chinois.

 

Quel est le sujet principal du Shôbôgenzô ?

Le fil directeur qui traverse l'ensemble du recueil Shôbôgenzô n'est autre que l'apologie de l'écriture, c'est-à-dire que l'ensemble du recueil consiste en la réflexion sur la nature et la fonction même de l'écriture.

 

Pourquoi le Shôbôgenzô est-il si essentiel à la tradition du zen, encore aujourd'hui ?

Sans doute, comme vous le savez, à force de souligner, d'insister sur l'importance capitale de la méditation assise, c'est-à-dire le zazen, la tradition zen dans son ensemble a tendance à négliger l'étude des sûtras. Or le Shôbôgenzô souligne, à travers son enseignement fondé sur le langage, que la pratique de la méditation assise ne doit faire qu'un avec l'étude des sûtras. L'une et l'autre nous donnent finalement le même fruit c'est-à-dire la libération de notre ego, la première par la contemplation de la permanence de ce monde phénoménal, et l'autre par la contemplation de l'interdépendance de tous les mots et de tous les caractères qui constituent le système symbolique.

 

Le terme Shôbôgenzô est composé de quatre caractères différents : 正法眼蔵. Est-ce que vous pouvez nous rappeler ce que chaque caractère signifie ?

– Le premier caractère shô 正 que je traduis par l'épithète "vrai" signifie également juste, authentique, etc.

– Le deuxième caractère (ou ) 法 désigne la loi c'est-à-dire le dharma.

– Le troisième caractère gen  眼 désigne au sens propre l'œil et au sens figuré le point essentiel ou le point capital de la chose.

– Le quatrième caractère 蔵 a plusieurs sens, en tant que verbe il signifie "contenir" ou "cacher", en tant que nom commun il désigne "le dépôt", "la réserve" et aussi "les organes vitaux", et finalement en tant que terme bouddhique, il désigne "les écritures", les sûtras et le canon bouddhique.

 

Ce que vous aimez souligner, Yoko Orimo, c'est que stylistique et métaphysique, finalement ne font qu'une dans le Shôbôgenzô.

Tout à fait. Cette unité de la stylistique et de la métaphysique constitue le point capital de ma recherche consacrée au Shôbôgenzô. Juste un mot pour vous donner un avant-goût de la lecture. C'est que maître Dôgen montre le concept avec l'image au lieu de discourir sur le concept en tant que concept. Et chez maître Dôgen le système symbolique est conçu à l'image de la vacuité. Qu'est-ce que la vacuité ? Elle n'est rien d'autre que la multitude des choses en perpétuelle interaction. Et les mots et les choses qui sont en perpétuelle interaction produisent sans cesse un sens nouveau à l'image même de la vacuité.

 

Le Shôbôgenzô comporte donc un certain nombre de caractéristiques stylistiques. Vous m'avez d'ailleurs donné à lire un extrait du texte intitulé Baika qui signifie Fleurs de prunier. Le voici :

« L'univers entier est la terre du cœur.
   L'univers entier est sentiments et émotions des fleurs.
   Puisqu'il est sentiments et émotions des fleurs, l'univers entier est fleur de prunier.
   Puisqu'il est fleur de prunier, l'univers entier est prunelle de l'œil de Gautama. »

Quelle est donc la signification de ce passage très poétique ?

Dans le recueil Shôbôgenzô, il y a beaucoup de métaphores et ces métaphores apparaissent le plus souvent dans le champ lexical de la nature, tels que les fleurs, les oiseaux, le vent et la lune. Or tous ces éléments de la nature sont en mouvement, et qui dit le mouvement dit le reflet et la relation. C'est avec ce mouvement, ce reflet et cette relation que les éléments de la nature nous font voir et entendre la résonance de l'univers, autrement dit le principe de l'interdépendance de tout ce qui existe dans cet univers. Telle est la signification des mots de maître Dôgen : les sentiments et émotions des fleurs, et la prunelle de l'œil de Gautama. Dans la prunelle de l'œil de Gautama -   Gautama désigne l'Éveillé-Shâkyamuni historique - toutes les choses de ce monde se reflètent telles qu'elles sont dans leur pureté originelle. De même le cœur des fleurs quoique extrêmement sensible, est pur et impartial. Et c'est avec ces sentiments et ces émotions qui viennent du cœur du non-moi, c'est-à-dire du cœur libéré de notre petit ego, que les fleurs sont unies à l'univers tout entier.

« Une fleur éclôt, et le monde se lève ». Ce bon mot que maître Dôgen cite et commente tout au long du Shôbôgenzô, est en fait le dernier vers du poème de Prajnatara le 27e patriarche indien qui était le maître de Bodhidharma. Et c'est Bodhidharma qui transmit à son tour le zen en la terre de Chine. C'est donc en mourant à soi, à la mort de notre petit moi égoïste, qu'une fleur peut éclore pour se donner au monde et pour recevoir les dons de ce monde.

 

Pour terminer cette émission, Yoko Orimo, est-ce que vous pouvez nous dire en quoi les tomes du Shôbôgenzô que vous avez traduits, sont encore si importants aujourd'hui ?

Cette originalité de l'œuvre se manifeste tant au niveau de la stylistique que de la réflexion sur le langage, ou sur le rapport entre l'image et le concept, ou bien à travers le jeu du visible et de l'invisible.

Comme vous le savez notre civilisation actuelle s'intéresse de plus en plus à l'image. Tout est maintenant dans l'ordre de l'image, qu'il s'agisse de l'art, de la science, du mode de pensée, de la transmission etc. Or l'image en tant que visible révèle l'invisible tout en le cachant, telle est la signification même du caractère , le quatrième caractère qui compose le terme de Shôbôgenzô. Et le recueil Shôbôgenzô nous invite justement à étudier la véritable nature de l'image avec toute sa noblesse, sa profondeur, sa richesse et aussi avec son ambiguïté et son caractère éphémère et transitoire.

 

Merci beaucoup Yoko Orimo.

 

Transcription de  Christiane Marmèche.

 

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